De la guerre populaire à la sale guerre

La guerre populaire débute le 17 mai 1980 avec l’incendie d’urnes électorales par un groupe de jeunes gens dans la communauté de Chuschi, puis quelques jours plus tard, par la découverte de chiens pendus à des lampadaires dans les rues de Lima.

Le bras armé du Sentier Lumineux, l'Armée populaire de guérilla (Ejercito Guerrillero Popular, EGP) comprend trois échelons : La Fuerza Principal (FP), unités combattantes permanentes ; La Fuerza Local (FL), unités territoriales assistant la FP; La Fuerza de Base (FB), milices locales servant de réserve aux premières. On estime le noyau initial à 200 ou 300 combattants, hommes et femmes, équipés assez chichement. Au maximum de sa puissance, il rassemblera plus de 50 000 militants et 4 000 combattants. Contrairement à d’autres mouvements analogues, le Sentier Lumineux confie des postes clés à des femmes, même au sein des unités combattantes.

La stratégie du Sentier Lumineux repose sur des bases d’appui d’où partent des colonnes chargées d’ouvrir des zones d’opération. La confrontation avec l’état péruvien créée des zones de guérilla qui deviennent de nouvelles bases d’appui une fois les forces gouvernementales en retraite.
Les tactiques sont multiples :

- attaques de postes de police dont les armes renforcement l’arsenal de la guérilla ;

- attentats dans les villes et attaques de prisons (actions à forte résonnance médiatique internationale) ; 

- actions de sabotage contre des infrastructures (édifices publics, ponts, lignes électriques) ;

- éliminations des ennemis de classe (agents gouvernementaux, syndicalistes, traîtres…) ;

- grèves générales armées ; levée d’impôts de guerre pour financer la lutte ;

- vols et autres expropriations.

Le trafic de drogue est également perçu comme un moyen de lutte contre l’état péruvien et l’impérialisme américain. Des accords sont ainsi passés avec certains narcotrafiquants, le Sentier perçoit l’encaissement de quotas sur des chargements à destination de l’étranger, assure parfois la protection de convois, et obtient même la garantie de revenus minimum aux petits paysans producteurs de coca.

Les régions gagnées au Sentier Lumineux deviennent des « zones libérées » où les sentiéristes installent de nouvelles infrastructures, fondent des écoles et rendent la justice, donnant un aperçu du nouvel état révolutionnaire qu’ils entendent substituer à l’existant.

A partir de décembre 1982, l’état péruvien décrète l’état d’urgence dans certaines provinces, où dorénavant armée et forces spéciales de la garde civile opèrent avec toute latitude. Selon un modèle bien connu sur le continent, militaires et policiers péruviens mènent une stratégie de contre-insurrection mêlant opérations militaires dirigées contre la guérilla (offensives contre les sanctuaires sentiéristes, arrestations,...) et actions en direction de la population civile (déplacement de populations vers des hameaux stratégiques, création de milices d’autodéfense, programmes de développement). L’objectif est de faire mentir Mao selon qui le guérillero doit se sentir dans la population comme le poisson dans l’eau, et ainsi couper les sentiéristes de leur base sociale.

Le cycle infernal de la sale guerre va s’étendre sur toute la décennie, ponctué d’exactions (assassinats, disparitions) commises par les deux camps. Contrairement aux prédictions de Guzmán selon qui la violence de l’état devait mobiliser la population et motiver l’insurrection, c’est bien l’état péruvien qui va sortir vainqueur de la confrontation.