Les parodies d'« Atala »

La première œuvre de Chateaubriand à être caricaturée fut Atala. Quand le roman parut il connut un immense succès. Revenu des États-Unis, encore imprégné des paysages qu’il y avait découvert, Chateaubriand avait écrit une tragique histoire d’amour qui se déroulait dans un magnifique paysage. L’exotisme n’est d’ailleurs pas étranger au succès du livre.

Comment ne pas être dépaysé lorsque, dès le prologue, Chateaubriand évoque un fleuve, « dans un cours de plus de mille lieues, qui arrose une délicieuse contrée que les habitants des États-Unis appellent le nouvel Éden, et à laquelle les Français ont laissé le doux nom de Louisiane » ? Comment ne pas rêver à un ailleurs fabuleux lorsqu’il écrit que « Mille autres fleuves, tributaires du Meschacebé, le Missouri, l’Illinois, l’Akanza, l’Ohio, le Wabache, le Tenase, l’engraissent de leur limon et la fertilisent de leurs eaux. »

Se saisissant de ces noms, l’auteur de « Alala où les habitants du désert », la parodie d’Atala, joua à remplacer le vocabulaire exotique par celui issu de notre vocabulaire : plutôt que de faire rêver le lecteur aux rives lointaines du Missipi, la scène est transposée en Île-de-France, sur les bords de Seine. A la place des animaux exotiques, on met en scène des mules et des crapauds. Enfin, les noms des tribus indiennes sont transposés en Français.

On décrit les boucles de la Seine et de la Marne et le désert d’Atala borde désormais les rives de la Bièvre, un court d’eau insalubre qui serpentait autrefois à travers la rive droite de Paris et était célèbre pour son insalubrité et sa puanteur.

Enfin, alors que Chateaubriand écrit qu’on voit « dans ces prairies sans bornes errer à l’aventure des troupeaux de trois ou quatre mille buffles sauvages. », le parodiste s’amuse à écrire « on voit dans ces prairies sans bornes des troupeaux de deux, trois, quatre, jusqu’à douze ânes, boucs, chèvres, vaches, etc. »

Atala elle-même est renommée : elle n’est plus la « fille de Simaghan aux bracelets d’or » mais se prénomme Alala et est désormais la « fille de Bataclan, aux larges boucles d’oreilles. » Aujourd’hui, Bataclan nous évoque la salle de spectacle. Mais dans la France du XIXe siècle, le mot écrit en syllabes détachées faisait penser à une expression chinoise. Issu de l’argot, « Bataclan » est un terme connu depuis la fin du XVIIIe siècle qui désignait un attirail encombrant composé d'objets dont on voulait se dispenser de donner le nom. « Amène toi avec tout ton bataclan » c’est un peu comme dire « viens avec tout ton barda ». Être la fille de Bataclan ce n’est donc plus être la fille d’un noble chef indien mais d’un homme qui manque d’organisation.

On le voit, ces ouvrages sont aujourd’hui d’un abord compliqué : ils nécessitent de connaître l’œuvre et d’avoir des références pour pouvoir rire avec l’auteur de la parodie. Mais même si le rire est devenu difficile, leur lecture nous en apprend beaucoup. Car, qu’est-ce que le style ? Est-ce que cela se limite à faire rêver son lecteur en agitant des mots exotiques ou est-ce un art qui réside ailleurs.