La Tarentole

La Tarentole de Nicolas de Malézieu est une comédie-ballet qui eut beaucoup de succès à la cour de la duchesse du Maine, à la résidence de Malézieu à Châtenay. Il ne nous reste aucune version écrite de cette pièce de théâtre mais voici un témoignage nous racontant l’intrigue et la mise en scène de celle-ci.

« Après ce Prologue en Musique qui dura un peu plus d’un quart d’heure, on vit paraître en effet sur le Théâtre une Troupe de Comédiens dont les visages n’étaient pas inconnus. C’était Madame la Duchesse du Maine elle-même, M. de Malezieu, M. de Dampierre, M. de Mayercron, Mademoiselle de Moras, M. de Caramont, M. Landais & M. de Torpanne. Ils représentèrent une Comédie-Ballet en trois Actes de la composition en trois Actes de la composition de M. de Malezieu. Je voudrais pouvoir vous en envoyer une copie. Contentez-vous de savoir pour le présent qu’on faillit y étouffer de rire depuis le commencement jusqu’à la fin. La pièce est intitulée la Tarentole.

On suppose qu’un Vieillard fort avare avait promis sa fille en mariage à un autre Vieillard fort riche. Cette fille aimait un Marquis qui n’avait pas beaucoup de biens, & qui par conséquent ne pouvait plaire au père de la fille. Par le conseil du Valet du Marquis, elle avait depuis plusieurs jours contrefait la muette, & affecté de bâiller, & de paraître assoupie, dans le dessein de suspendre le mariage que son père avait conclu avec l’autre Vieillard. L’ouverture se fait par le Marquis, représenté par M. Landais, la Fille sous le nom d’Isabelle, représentée par Mademoiselle de Moras, sa suivante sous le nom de Finemouche représentée par Madame la Duchesse du Maine, & par le Valet du Marquis sous le nom de Crotesquas représenté par M. de Malezieu. C’est là que le sujet s’explique beaucoup mieux que je ne viens de le détailler, & que Crotesquas prend la décision de rebuter dès ce même jour le Vieillard accordé avec Isabelle nommé M. Fatolet, représenté par M. de Mayercron. Bruscambille, représenté par M. de Dampierre ; le Valet du Père vient avertir que les Vieillards sont prêts à entrer, & qu’il faut finir la conversation. Ce Bruscambille est gagné par la fille ; & le bon homme a beaucoup de confiance en lui. Après que les Amants se sont retirés, les Vieillards paraissent, c’est-à-dire, M. Fatolet, l’accordé, & M. de Pincemaille, le père, représenté par M. de Torpanne. Ce M. de Pincemaille est bègue. Ils parlent d’un grand Médecin nommé Rhubarbarin, représenté par M. de Caramont, arrive un moment après : il est bègue lui-même, & croyant que l’autre Vieillard se moque de lui, ils se querellent ; puis s’étant raccommodés, on fait venir Isabelle qui paraît toute égarée, & casse les dents à M. de Rhubarbarin. La Servante et le Valet font cependant mille grimaces, & bâillent au lieu de répondre quand on leur parle : les Vieillards, désespérés, courent après M. de Rhubarbarin qui fuit comme un furieux ; Voilà le premier Acte.

Au second Acte, Bruscambille prépare son Maître à voir un Médecin Turc merveilleux. Ce Médecin Turc est Crotequas déguisé à l’Orientale, suivi de son Maître déguisé de même. Ce nouveau Médecin examine la malade : il conclut sur ces accidents qu’elle a été piquée de la Tarentole ; qu’elle entrera bientôt en fureur ; que Finemouche et Bruscambille sont déjà attaqués du même mal qui est fort contagieux, comme il paraît par leurs fréquents bâillements ; qu’ils deviendront bientôt enragés, s’il n’y remédie ; & que les Vieillards eux-mêmes pour s’être approchés de l’haleine de la malade, seront attaqués incessamment du même mal. Cela lui donna des frayeurs fort plaisantes, & à mille jeux de Théâtre que je ne puis décrire ici. L’habile Médecin conclut cette première visite par dire que ce mal ne se peut guérir que par la danse, & par la Musique, & qu’il va quérir les gens qui lui sont nécessaires. Voilà le second Acte. Au troisième, le Valet et la Servante entrent en fureur, & font mourir de peur les Vieillards. Enfin, le Médecin arrive avec ses Danseurs & ses Musiciens : il suspend les accidents par une

excellente Musique dont les paroles sont accommodées au sujet. Il y en a d’admirables en Italien composées par M. le Duc de Nevers. On fait aussi danser pour récréer les malades. Ce fut là que M. Balon triompha ; mais cependant la pauvre Isabelle demeure folle. Le Médecin avertit qu’il n’y a plus d’espérance pour elle ; qu’il faut éviter son haleine comme la mort. M. Fatolet s’enfuit, M. de Pincemaille, désespéré, demande à genoux s’il n’y a point de guérison pour sa pauvre fille. Le Médecin après bien des détours lui avoue qu’il y a un remède ; mais qu’il est trop honnête homme pour le conseiller. Ce remède, c’est de la marier dans vingt-quatre heures ; mais il avertit que celui qui l’épousera court à une mort assurée, & enragera dans six semaines.

Sur cela, M. de Paincourt qui est le Marquis bien averti du péril où il s’expose, ne laisse pas de se présenter. Le Vieillard est trop heureux de lui présenter sa fille. On continue la danse & la Musique, & l’on fait sauter Allard pour récréer l’imagination de la malade, & lui procurer quelque intervalle. Ainsi finit le Divertissement, au sortir duquel on alla souper aussi longuement & aussi magnifiquement qu’on avait dîné. Après le souper, M. de Malezieu fit tirer un feu d’artifice dans son Jardin ; après lequel pour ne point sortir du sujet de la Tarentole on dansa des contredanses jusque bien avant dans la nuit »1.

Au-delà de l’aspect divertissant de cette histoire, elle repose sur des faits puisque la tarentole est une araignée connue à l’époque moderne pour venir du Royaume de Naples et dont la morsure avait des effets narcoleptiques ou mettait au contraire la victime dans un état de fureur dont l’issue est souvent funeste. On pensait à l’époque que la musique pouvait guérir du venin de la tarentole parce qu’elle réveille les esprits. Alors quoi de mieux qu’une comédie-ballet ?

Pour en lire davantage, une réédition de cet ouvrage est disponible au centre de documentation : https://cd92.prod-osiros.decalog.net/notice.php?q=divertissements%20sceaux&spec_expand=1&sort_define=score&sort_order=1&rows=10&start=0 

 

1Ioana Galleron. Les Divertissements de Sceaux, Classiques Garnier, 2011, pp. 226-238