Epilogue

La crise de l’automne 1962 fut un des moments clefs de la guerre froide. Les Etats-Unis firent monter la pression volontairement par certaines décisions : l’augmentation des vols de reconnaissance, à haute et basse altitude ; le passage à DEFCON 2 ; en traquant les sous-marins soviétiques avec des charges d’exercices suffisamment puissantes pour les endommager, avec en retour le risque de tirs de répliques ; en menaçant de frappes le sol cubain. Et Washington obtint le résultat souhaité, à savoir le recul de Moscou. De son côté l’Union soviétique était prête à répondre à toute agression américaine contre Cuba par des représailles massives. Le risque d’une déflagration fut proche.

L'arme nucléaire et la doctrine MAD

Cuba illustre parfaitement les conséquences de la doctrine de destruction mutuelle assurée (mutual assured destruction ou MAD en anglais). Selon ses théoriciens, une destruction mutuelle des belligérants serait suffisante pour dissuader l’un d’entre eux de lancer une attaque nucléaire, rendant ainsi l’arme nucléaire utile, mais dans sa non-utilisation. Le risque d’une escalade incontrôlée joua pleinement dans les décisions de Kennedy et de Khrouchtchev, même si certains faucons plaidèrent pour franchir le pas. Si les Etats-Unis se voient sous la menace directe des Dvina et des Chusovaya pendant quelques semaines, l’Europe de l’ouest est depuis longtemps déjà prise à la gorge par les missiles soviétiques. L’Union soviétique est la cible des ICBM et autres bombardiers du Strategic Air Command. Au sortir de la crise, le rapport de force stratégique reste favorable aux Américains et les Soviétiques courront toujours pour le combler, le missile gap véhiculé par les Etats-Unis restera un mythe de la guerre froide.

Les opinions publiques

Les Etats-Unis sont baignés dans un climat de guerre, avec une opinion inquiète mais finalement résignée. La population est dans son ensemble derrière le président Kennedy. L’Allemagne de l’Ouest, la France et la Grande-Bretagne se montrent solidaires de leur allié américain, même si une certaine méfiance est de rigueur dans la presse française et anglaise dans les premiers jours. En Union soviétique, la population est largement sous-informée de la situation. Cuba, centre de toutes les attentions, est en ébullition, toute la population est mobilisée et craint une invasion américaine. La Chine populaire manifeste son soutien au peuple cubain, dans un réflexe internationaliste.

Cuba

Dans une situation économique éprouvante depuis la rupture avec les Etats-Unis et l’instauration de l’embargo, le retrait soviétique est vécu comme une catastrophe pour Cuba et Fidel Castro, qui subit un sévère camouflet personnel. Cuba semble se retrouver seule face aux Américains, malgré l’engagement de Kennedy de ne pas intervenir. Pendant quelques semaines le ciel cubain reste sous le contrôle des appareils américains qui multiplient les vols de reconnaissance. Guantanamo, dont Castro voulait obtenir le retour, reste aux mains de Washington.
Néanmoins force est de constater que Moscou parvient à se désengager tout en protégeant autant que possible son nouvel allié. Certes malgré les demandes de La Havane qui entendait les intégrer à la défense de l'île, les bombardiers Il-28 sont retirés. Mais Cuba obtient des Soviétiques le transfert d’armements conventionnels dont des SAM et des avions, et une unité de l’armée soviétique reste sur l’île. En avril-mai 1963, Fidel Castro est reçu triomphalement en Union soviétique, lors d’un voyage qui scelle définitivement l’alliance entre Moscou et La Havane.

L’Union soviétique

Anadyr représente un succès opérationnel de l’armée soviétique, qui parvint à déployer des armes stratégiques à quelques 160 km des côtes américaines. En ce sens la démonstration fut réussie, bien que brève. L’URSS obtient la garantie que les Etats-Unis ne s’en prendront pas à Cuba, et les missiles Jupiter vont quitter les sols turc et italien. Mais en interne, certains membres du Politburo reprochent à Khrouchtchev son aventurisme et surtout son défaitisme, qui, estiment-ils, portent un coup au prestige soviétique. La république populaire de Chine ne manque pas de railler le capitulationnisme de Moscou. Deux ans plus tard, Nikita Khrouchtchev sera évincé du pouvoir au profit de Leonid Brejnev.

Les Etats-Unis

Ce sont les grands vainqueurs de la crise. Ils ont fait plier l’URSS publiquement alors que le « retrait » des missiles Jupiter est concédé officieusement. Après le piteux échec de la baie des Cochons, le prestige de Kennedy en sort renforcé. Il a su faire preuve de fermeté à l'égard de l'URSS, mais également face aux faucons de Washington prêts à en découdre (même s’il n’exclut pas la possibilité de frappes). Les Etats-Unis purent compter sur le soutien de leurs alliés de l'Otan dont l’Allemagne de l’ouest et la France. Au final la crise d’octobre 1962 est une réaffirmation de la doctrine Monroe, l’Amérique latine reste bien le pré carré des Etats-Unis et Cuba une anomalie.

Le téléphone rouge

Afin d’améliorer les communications entre Washington et Moscou, et surtout de raccourcir les délais de réception et de décodage des courriers, un système de télescripteurs est mis en place à compter de 1963. Sans cesse amélioré au gré des avancées techniques, le téléphone rouge perdurera tout au long de la guerre froide et au-delà.