Epilogue

L'affaire Lip fut sans conteste le conflit social le plus marquant des années 70. Son aspect protéiforme, son démocratisme, sa vitalité et même sa joyeuseté furent à rebours des conflits sociaux classiques autour d’un piquet de grève.

Contrairement à une opinion largement répandue, les Lip ne militèrent jamais pour un modèle autogestionnaire tel que celui inscrit dans le programme du PSU ou bien à l'instar de la Yougoslavie titiste. Certes les Lip firent preuve d’une remarquable capacité autogestionnaire, mais leurs actions furent dictées avant tout par un réflexe d’autodéfense contre une politique de casse industrielle et pour la sauvegarde de leur emploi. Leur lutte ne visait pas à l’obtention de subsides et autres compensations en cas de licenciements comme lors d’autres conflits sociaux. Au contraire les Lip s’évertuèrent à trouver une solution pérenne pour maintenir l’existence de leur entreprise. Ils rejetèrent la logique économique présentant les licenciements comme inévitables en milieu capitaliste, ils refusèrent d’être une simple variable d’ajustement et de payer la mauvaise gestion de l'ancienne direction.

Les syndicats

Durant le conflit les centrales syndicales oscillent entre le soutien et la méfiance face à un mouvement qui les déborde et prend ses distances avec l'orthodoxie syndicale. Les directions locales et nationales furent souvent irritées par les initiatives des Lip.

La section CGT-Lip est tiraillée entre le respect de l'intersyndicale et le soutien au Programme commun de la gauche que l'expérience Lip dépasse. Ses effectifs chez Lip fondent, passant de 220 salariés en juin 1973 à seulement 79 en janvier 1974, elle ne compte aucun membre au CE en janvier 1975 et un seul parmi les 10 délégués du personnel (plus un de la CGC).

La CFDT sort renforcée du conflit. Le plan de reprise est basé sur les conclusions du cabinet Syndex, proche de la centrale. Les figures de Charles Piaget et Roland Vittot sont connues du grand public. En janvier 1974, 70% du personnel de Lip y est encarté. A l'issue du conflit la CFDT apparaît comme un syndicat moderne capable de négocier la survie d’une entreprise en démontrant sa viabilité économique.

Les femmes

Les salariées de Lip s’illustrèrent par leur engagement tout au long du conflit, par une libération de la parole, par une affirmation de soi, par des prises de responsabilité au sein des différentes commissions. Elles heurtèrent les sensibilités masculines, non seulement de l’encadrement mais aussi de leurs collègues directs.

Le législatif

Le conflit Lip a des répercussions sur le législatif avec l'adoption d'une meilleure protection des salariés en cas de faillite. Un fonds de réserve alimenté sur les cotisations patronales afin de payer les salaires dus au personnel en cas de faillite est également mis en place.

Un bref retour à la normale.

La deuxième vie des Lip ne durera guère puisque de nouvelles difficultés se feront jour en 1976. Un déficit et des difficultés de fonctionnement pousseront Claude Neuschwander à démissionner en février, avant un nouveau dépôt en avril. Un nouveau conflit débutera, mais il s’agit là d’une autre histoire...