Abimael Guzmán : du professeur à l'idéologue

Abimael Guzmán Reinoso (1934-2021) est un brillant étudiant, auteur d’une thèse en philosophie et d’une en droit. En 1962, il devient professeur de philosophie à l’université de San Cristobal de Huamanga, dans la cité provinciale d’Ayacucho (versant oriental de la cordillère des Andes). Militant communiste, comme d’autres militants prochinois il quitte le parti communiste péruvien pour rejoindre le nouveau Parti communiste Bandera Roja en 1964. A partir de 1965, il effectue trois voyages dans la Chine de Mao qui achèvent de convaincre Guzmán de la pertinence de la version chinoise du marxisme-léninisme. Ainsi les réflexions et textes de Guzmán reflètent ces analogies entre le Pérou et la Chine des années trente décrite par Mao, en insistant notamment sur la dimension agraire et la théorie de la guerre populaire prolongée[1]. Mais à la différence de l’intellectuel communiste péruvien José Carlos Mariátegui, la question pourtant fondamentale de l’identité indienne est mise de côté. Si les maoïstes doivent se solidariser avec les luttes indigènes, c’est sous la bannière du socialisme, sans aucun particularisme indigéniste.

En 1971, une scission aboutit à la formation du Parti communiste du Pérou-Sentier Lumineux (Sendero Luminoso, PCP-SL). Ce nom s’inspire d’une citation de Mariátegui « le marxisme-léninisme ouvrira un sentier lumineux vers la révolution ». Le parti recrute ses cadres parmi le personnel enseignant et les étudiants, misant également sur les liens familiaux. Les membres viennent de la petite bourgeoisie urbaine d’Ayacucho, des enfants de paysans venus étudier et qui, de retour dans leurs communautés, servent de relais et de contacts pour le parti et bientôt la guérilla.

Un important travail politique est effectué par les militants sentiéristes auprès des communautés agraires, des organisations de masses locales et dans les villes. Paradoxalement si le développement économique progressif de la région d’Ayacucho contribue à une certaine perte d’influence dans la seconde moitié de la décennie, le parti renforce néanmoins son appareil et se prépare à l’inévitable lutte armée. Pour Guzman qui se considèrera comme la quatrième épée du communisme après Lénine, Staline et Mao, notre tâche immédiate aujourd’hui, c’est de développer la protestation populaire dans le but de commencer la lutte armée.

 

[1] La théorie de la guerre populaire prolongée, élaborée par Mao Zedong, comprend trois phases : établissement de la guérilla en zone rurale associé à un travail politique auprès de la population locale ; dissémination d’autres bases, augmentation de leurs zones d’influence, substitution des structures gouvernementales par celles de la guérilla et mise en place de réformes ; encerclement et prise des villes qui se trouvent isolées par l’action des guérillas, et in fine à la prise du pouvoir.