Le loup dans la bergerie

En 1967, Ebauches SA, filiale du consortium suisse l’ASUAG, entre dans le capital de Lip à hauteur de 25%. Pour Fred Lip, cette participation doit contribuer au développement des ventes à l’international, entre autres par la création d’une usine en Suisse qui associerait la marque Lip à une certaine qualité made in Suisse. Pour le nouvel actionnaire, cette entrée au capital de Lip donne accès aux ateliers de montages, au réseau commercial et à l’image de marque de l’horloger bisontin. En 1970 le groupe suisse devient actionnaire majoritaire avec 43 % de parts, sans objection du gouvernement français. En février 1971, Fred Lip est remplacé comme PDG par Jacques Saintesprit, ancien vice-président de Lip avant de travailler pour l’ASUAG. Si les relations au sein de Lip s’aplanissent entre la nouvelle direction et le personnel, sa situation économique ne s’améliore pas (vidéo INA).

Le nouveau propriétaire transfère rapidement le secteur Recherche, en particulier celui sur la montre à quartz prête à être commercialisée, et les brevets dans ses propres laboratoires en Suisse. Les tentatives de l’horlogerie française pour maintenir Lip sous pavillon français échouent, le gouvernement ne s’opposant pas au groupe suisse. Toujours à la recherche de nouveaux investisseurs, Ebauches SA s’adresse à l’Institut de développement de l’industrie (IDI). En attendant une réponse, les Suisses commencent à mettre en œuvre un plan de restructuration d’ampleur : liquidation des secteurs machines-outils et d’équipements civils et militaires, limitation du secteur horlogerie au montage des montres à partir d’ébauches (ensemble de pièces usinées du mécanisme de la montre) qui seront fabriquées essentiellement en Suisse, au sein d’ASUAG. Lip, fleuron de l’horlogerie française, deviendra ainsi à terme une simple usine de montage. Les ambitions de Fred Lip au moment de l’accord de 1967 sont bien loin, il semble évident dorénavant que seul le groupe suisse tirera avantage de cette union.

Fin 1972, l’IDI conditionne sa réponse à des restructurations allant dans le sens de la politique de l’ASUAG, c’est-à-dire la disparation des autres secteurs d’activités de Lip, y compris le secteur recherche, pour se focaliser uniquement sur les montres. Il est entendu que ces restructurations entraîneront de nombreux licenciements parmi le personnel.

Les syndicats suivent les tractations entre Saintesprit, l’ASUAG et l’IDI, et ont connaissance des réformes et des fermetures exigées. Mais par manque d’information les délégués du CE font appel à un expert-comptable pour établir un bilan financier de l’entreprise. En février 1973 un rapport de 21 pages, stigmatisant la politique d’Ebauches SA, est adressé à la presse et à des personnalités politiques, afin d’exposer la situation de l’entreprise et de solliciter l’intervention des pouvoirs publics.

Le 19 mars 1973, date retenue pour des raisons politiques, car peu de temps après les élections législatives, l’IDI communique officiellement sa réponse, négative en l’état, signifiant le dépôt de bilan. Le 17 avril, Jacques Saintesprit démissionne de son poste. Le tribunal de commerce de Besançon nomme deux administrateurs provisoires chargés de gérer la liquidation. Comme prévu, le plan d’Ebauches SA prévoit bien le démantèlement du site, la vente des machines-outils et du secteur d’armement, accompagnés de licenciements, et la transformation de l’usine de Palente en simple usine de montage de montres. La plupart des OS conserverait leur emploi, mais de nombreux employés, techniciens et agents de maîtrise seraient licenciés.

                                                                                

                                                                                                         Le plan Ebauches SA vu par les Lip

Au discours des Suisses d’Ebauches sur l’inéluctabilité du démantèlement, seule solution pour sauver Lip, les syndicats répondent par leur propre communication, affirmant qu’avec de l’investissement dans la recherche, Lip continuera à vivre. Fort de leur culture collective et de leurs actions antérieures, les Lip ne baisseront pas les bras.