L’usine est là où sont les travailleurs

Le 31 juillet, le tribunal de commerce de Besançon rend effective la mise en liquidation de Lip.

Si depuis le début du conflit l’Etat est assez distant, on note à partir d’août un certain changement d’attitude. Le 1er août le ministre du développement industriel et scientifique Jean Charbonnel propose un plan très proche de celui d’Ebauches SA comprenant le démantèlement de l’entreprise et le licenciement de 400 à 600 salariés. Sans surprise il est rejeté par les Lip et même la CGC.

Le ministre décide alors de confier à Henry Giraud, un homme d’affaire spécialisé dans les reprises de sociétés - ce qui lui vaut le sobriquet de Zorro - un rôle d’envoyé de l’Etat. Le 7 août à Palente, Giraud se heurte au refus des Lip de le rencontrer autrement que collectivement. Ce sera sa seule visite sur le site. Dans le même temps la présence policière se renforce pour empêcher la sortie des montres fabriquées.

Le 8 août la cour d’appel ordonne l’évacuation du site de Palente ainsi que la mise en place de mesures visant à empêcher les salariés de pénétrer sur le site ou d’en subtiliser du matériel. Le 9 le personnel empêche la pose de scellés.
Le 14 août à 6h sur ordre de Matignon, 3 000 gardes mobiles investissent le site et mettent fin à l’occupation (vidéo INA)
. Le premier ministre Pierre Messmer se justifiera en affirmant lutter contre le capitalisme sauvage et la mauvaise gestion de l’ancienne direction. Cette intervention est condamnée dans la presse de gauche et le soutien à Lip s’accroît comme en témoignent les nombreux arrêts de travail et meetings dans le pays (vidéo INA). Les sermons prononcés à l’occasion de la fête de l’Assomption à Palente affichent un franc soutien à Lip. A Besançon, des affrontements ont lieu entre la police et des jeunes entre le 15 et le 17 août.

                                                                            

Désormais expulsés de Palente, les Lip tiennent leurs AG au cinéma paroissial Le Lux à Besançon. A la condition qu’aucune montre n’y soit fabriquée, la municipalité socialiste de Besançon leur permet de s’installer au gymnase de l’école Jean Zay (vidéo INA) puis à la Maison pour tous à la rentrée. Le restaurant est réinstallé dans le fort de Brégille inoccupé.

En prévision de l’expulsion, des machines, des pièces, des documents furent évacués discrètement, et d’autres machines rendues inutilisables. Dans des ateliers clandestins ou « ateliers fantômes », la production reprend, atteignant les 80 à 100 montres par jour fin août, puis les 200 unités en octobre. La poursuite de la fabrication des montres est surtout symbolique et témoigne que le mouvement ne faiblit pas. La police traque les ateliers, multiplie les fouilles, jusque dans des édifices religieux, et des agents filent des ouvriers. Toutefois la vente devient de plus de plus difficile et passe quasi exclusivement par les comités d’entreprise. Grâce aux ventes de l’été, une seconde paie ouvrière est versée le 31 août au cinéma Lux.