Le néozapatisme

                                             

Le mouvement zapatiste revendique de l’héritage de la lutte d’Emiliano Zapata (1879-1919) pendant la révolution mexicaine. En 1911, ce petit propriétaire du Morelos prit la tête d’une armée de paysans, au nom de la réforme agraire et de la justice sociale. Il affronta successivement les gouvernements de Porfirio Diaz, Francisco Madero, Victoriano Huerta et Venustiano Carranza qui se suivirent durant cette décennie tragique. Emiliano Zapata meurt assassiné en avril 1919 à l’instigation de Carranza. Cet apôtre de l’agrarisme et ce rédempteur de la race indigène comme le décrivirent ses proches resta intransigeant quant à ses aspirations et ne rechercha jamais le pouvoir. Encore aujourd’hui, son souvenir est utilisé par les différents partis politiques.

Le zapatisme ou néozapatisme est le fruit d’un double mouvement d’adoption et d’adaptation de référentiels socialistes, communautaires mayas et chrétiens.

Il ne peut être résumé à un nouvel avatar du communisme latino-américain. Le mouvement sort de la clandestinité au moment où les expériences socialistes cubaines et nicaraguayennes sont des échecs, tout comme les mouvements de lutte armée au Salvador, au Guatemala ou encore au Pérou. Le noyau fondateur de l’EZLN est certes de culture marxiste-léniniste et de guévarisme (le mythe du Che est très présent dans les premiers temps), mais contrairement aux sandinistes ou aux membres du Sentier Lumineux, les positions de l’EZLN évoluent au contact de populations déjà marquées par les luttes paysannes. Fort d’une critique des expériences révolutionnaires passées, les zapatistes abandonnent le léninisme, refusent d’endosser le rôle de parti d’avant-garde, la prise du pouvoir et la notion de dictature du prolétariat. Les pratiques observées depuis 1994 seraient à rapprocher d’un certain socialisme libertaire, ce qui vaut au mouvement zapatiste une attention particulière des anarchistes.

Le sous commandant Marcos évoque le « processus de transformation de l’EZLN, d’armée d’avant-garde révolutionnaire en une armée des communautés indigènes, une armée qui fait partie d’un mouvement indigène de résistance, parmi d’autres formes de lutte. » C’est pourquoi les adjectifs de maoïstes, léninistes, castristes ou guévaristes n’ont plus de valeur pour définir l’EZLN. Marcos ajoute encore que « notre conception carrée du monde et de la révolution s’est retrouvée bien cabossée dans la confrontation avec la réalité indigène chiapanèque. Des coups est né quelque chose de neuf, ce qu’on connaît aujourd’hui comme le néozapatisme » (22 octobre 1994).

L’EZLN et le néozapatisme sont également le produit de cinq siècles de lutte et de résistance contre la colonisation et ses effets sur les populations indiennes. L’arrivée des Européens a représenté une tragédie pour les populations locales, qui subirent la violence, les maladies et la rapacité des colons sur tout le continent. Pourtant les Indiens chiapanèques surent maintenir des pratiques communautaires comme les assemblées villageoises ou la pratique du consensus. Ces pratiques se retrouvent dans le fonctionnement des communautés zapatistes.

Enfin il ne faut pas négliger l’influence la théologie de la libération promue au Mexique entre autres par l’évêque de San Cristobal de las Casas, Samuel Ruiz Garcia. Ce courant de pensée chrétien propose non seulement de soulager les pauvres de leur pauvreté, mais aussi d'en faire les acteurs de leur propre libération. Elle soutient qu'il existe, à côté du péché personnel, un péché collectif et structurel, c'est-à-dire un aménagement de la société et de l’économie qui cause la souffrance d’innombrables « frères et sœurs humains ». Une frange du clergé soutiendra ainsi les luttes des paysans et des Indiens chiapanèques. Et l’installation du noyau se fera

Plus généralement les textes zapatistes insistent sur l’affirmation et le respect de l’identité indienne, le combat pour le développement socio-économique des populations pauvres et reléguées. Le zapatisme rejette le capitalisme et son dernier avatar, le néolibéralisme, il promeut le communalisme, l’écologisme et le féminisme. Il rejette l’Etat mexicain et ses politiques d’exploitation et de discrimination. Au gouvernement fédéral se substitue une organisation coopérative et collective, pratiquant une forme de démocratie radicale participative et paritaire. L’autonomie zapatiste entend démontrer que l’État-nation n’est pas la seule forme d’organisation possible pour qu’une population puisse vivre, qu’il est possible de construire une organisation de bas en haut et vers la gauche. L’autonomie est au cœur du zapatisme, conçu comme une forme de rébellion et de résistance. Elle se construit par un travail collectif aux niveaux productif, sanitaire, éducatif, juridique, culturel.

Le principe d’autogouvernement zapatiste repose sur la notion de mandar obedeciendo – commander en obéissant : une articulation de la verticalité du commandement et de l’horizontalité du consensus. Celui qui commande authentiquement doit respecter l’accord de la communauté, majoritaire ou unanime. La verticalité n’a de sens que si elle fait prévaloir l’horizontalité par laquelle la communauté parvient à l’accord auquel les dirigeants doivent se soumettre. La communauté choisit son organisation et ses représentants, et ceux-ci en sont la parfaite expression, disposant d’un mandat révocable à tout moment. Ces mandats sont conçus comme des charges assumées dans le respect d’une éthique de service rendu à la communauté.

                                                                               

Ainsi le néozapatisme est une pensée hybride qui se réalise par une pratique spécifique, adaptative, pragmatique. Marcos affirmait en mai 1996 : « le zapatisme n’est pas une nouvelle idéologie politique, ni un réchauffé de vieilles idéologies. […] Il se contente de servir, comme servent les ponts, pour traverser d’un côté à l’autre. Il n’y a ni recettes, ni tactiques, ni lois, ni règlements, ni consignes universelles. Il y a une aspiration : construire un monde meilleur, c’est-à-dire neuf. »