Le soulèvement

Le 1er janvier 1994, des centaines de combattants sortent de la forêt et s’emparent aisément de San Cristobal de Las Casas, Ocosingo, Las Margaritas, Altamirano et de quelques autres agglomérations. Passé la surprise des premières heures, les autorités mexicaines réagissent en envoyant l’armée. Le 2 janvier, les zapatistes se retirent de San Cristobal avant l’arrivée des troupes fédérales. Des combats ont lieu jusqu’au cessez-le-feu décidé le 12 janvier par le gouvernement sous la pression de la société civile. Le bilan des victimes se compte entre 150 et 200 morts. Parallèlement au déclenchement du soulèvement, quelques 80 000 hectares de terre sont occupés par des paysans, premières pierres de l’édification d’une vaste zone zapatiste autonome.

Dans sa première déclaration de la forêt Lacandone, l’EZLN énonce des objectifs nationaux : la modification du gouvernement en vertu du pouvoir constitutionnellement reconnu au peuple, la déposition du président en exercice (Carlos Salina du PRI), et onze revendications « travail, terre, toit, alimentation, santé, éducation, indépendance, liberté, démocratie, justice, paix » qui inscrivent ce soulèvement comme « une guerre pour tous les pauvres, exploités et misérables de Mexico ». Des lois révolutionnaires sont rendues publiques, parmi les Zapatistes on espère que le mouvement s’étendra à l’ensemble du pays., mais les combats restent limités au seul Chiapas.

Par son action l’armée zapatiste entend encourager la société civile à provoquer une transformation radicale de l’organisation politique, sociale et économique du pays. Le changement révolutionnaire ne sera pas le fait unique d’une révolution armée ou d’une révolution pacifique, mais il sera le résultat d’une action protéiforme, avec des degrés divers d’engagement et de participation. Ainsi l’EZLN ne se présente pas comme une avant-garde révolutionnaire classique. Elle cherche à nouer des liens avec les organisations civiles et politiques du Chiapas et du reste du Mexique. Elle entend encourager l’implantation de gouvernements civils ouverts à la participation de l’ensemble de la population.

Entre 1994 et 1996, le mouvement zapatiste s’accroît au contact de la société mexicaine. Sont organisées de vastes mobilisations paysannes, une Convention nationale démocratique en août 1994, un Forum national indigène en février 1996 devenu depuis Congrès national indigène. A l’été 1996 est organisée la Rencontre intercontinentale pour l’humanité et contre le néolibéralisme qui rassemble 3 000 participants, militants politiques et altermondialistes du monde entier. Les zapatistes deviennent les nouveaux représentants des aspirations révolutionnaires. Pour une frange de la gauche révolutionnaire et altermondialiste, le néozapatisme représente une alternative et un espoir pour sortir du modèle libéral et capitaliste

Après les combats de janvier 1994, la situation prend la forme d’un statu quo. En décembre 1995, une offensive de l’armée mexicaine échoue dans sa tentative d’éliminer les dirigeants de l’EZLN.

Le 16 février 1996, à l’issue de difficiles négociations avec les autorités, les accords de San Andrés reconnaissent le droit des peuples indiens à l’autonomie et au contrôle de l’usage de leur territoire. Mais le gouvernement fédéral refuse de les inscrire dans la Constitution et les accords ne seront pas appliqués, malgré les exigences zapatistes. L’EZLN, qui avait fait de ces accords et de la paix qui en résulterait un préambule à sa transformation en formation politique conserve sa structure militaire.

Le gouvernement entame alors une guerre de basse intensité contre les communautés zapatistes. Aux côtés des programmes sociaux tant gouvernementaux que d’organisations paysannes proches destinés à gagner l’appui des populations locales, l’armée (dont les Grupo Aeromóvil de Fuerzas Especiales) et des groupes paramilitaires comme  Paz y Justicia et Máscara Roja mènent des actions violentes contre les zapatistes. On relève de nombreux cas d’enlèvements, d’assassinats ciblés ou non, ainsi 45 villageois d’une communauté chrétienne non zapatiste sont massacrés au village d’Acteal en décembre 1997. Les cultures sont saccagées ou volées, les infrastructures (entrepôts, écoles) sont détruites, des populations déplacées.

Cet état de violence entretenu par l’état fédéral étouffe le mouvement zapatiste et empêche son essor au niveau national, le confinant au Chiapas. Face à la stratégie de harcèlement de Mexico, les zapatistes pratiquent la non-violence armée, faisant preuve d’une résistance pleine de sang-froid face aux provocations et aux exactions gouvernementales. La violence reste l’apanage de l’état mexicain. Et malgré les coups reçus, les zapatistes parviennent à construire les conditions de leur autonomie.

A la fin de la décennie 1990, l’EZLN est certes affaiblie, son aura nationale a diminué et son action se limite au Chiapas, mais elle n’a toutefois pas disparu.

Le 1er décembre 2000, le pouvoir ininterrompu du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) s’achève à la suite de l’élection du nouveau président Vicente Fox. Ce dernier se fait fort de régler la situation chiapanèque. L’EZLN relance sa politique de dialogue avec le nouveau gouvernement pour la modification constitutionnelle. En mars 2001, la « Marche de la couleur de la Terre » sillonne le Mexique, menant les commandants zapatistes jusqu’au parlement fédéral à Mexico. Mais les espoirs sont vite déçus et la réforme constitutionnelle accouche d’une souris. La question indigène reste marquée du sceau de l’assistanat et de la cooptation.

En 2005 est publiée la 6e déclaration de la forêt Lacandone appelant à une fédération des luttes en bas à gauche, en opposition au capitalisme. En 2006, la Otra Campaña (l’Autre Campagne) conduit une délégation de l’EZLN à travers tout le Mexique. Cette tournée vise à rallier le soutien des organisations de gauche, à faire pression sur le gouvernement pour créer une convention destinée à réécrire la constitution nationale afin de protéger tous les Mexicains de l’exploitation résultants des pratiques capitalistes et néolibérales. En 2007 se déroulent les Première et Deuxième rencontres des peuples zapatistes avec les peuples du monde. En 2013 dans le cadre de l’Escuelita zapatista des milliers de personnes sont invitées à partager le quotidien des communautés zapatistes. L’année suivante est organisée le Festival mondial des rébellions et des résistances contre le capitalisme. En 2018 sont organisées les Premières rencontres des femmes qui luttent.

Pourtant force est de constater que ces échanges avec la société civile nationale demeurent sans grands effets, malgré un certain capital sympathie. Les différents gouvernements restent hermétiques aux revendications indiennes, et la rencontre avec la gauche mexicaine ne se matérialise pas. L'élection d'Andrés Manuel López Obrador à la présidence en 2018 ne modifie en rien les rapports entre l'état fédéral et les zapatistes. Le projet de « train maya » à travers le Yucatán s'est attiré les critiques acerbes de l'EZLN.
A l'extérieur du Mexique, les zapatistes maintiennent une chaîne de solidarité avec des sympathisants, et les accueillent depuis le début du soulèvement. En 2021, une délégation zapatiste s'est rendue en Europe dans le cadre du Viaje por la Vida (Voyage pour la vie).

Ainsi depuis une vingtaine d’années, au gré d’une sorte de tolérance répressive, certaines zones du Chiapas connaissent un régime d’autonomie de fait à défaut d’autonomie de droit. Les zapatistes administrent un territoire de la taille de la Belgique, regroupant de 100 à 250 000 personnes, y créant une société autonome résolument démocratique et anticapitaliste. Les dizaines de milliers d’hectares de terre récupérés depuis 1994, gérés collectivement rendent cette autonomie possible.